Conditions de travail : Le retour de l’héroïque investisseur privé

Il faut favoriser les investisseurs privés pour créer des emplois! N’entendons-nous pas cette formule clamée sur tous les toits par les politiciens? Une formule répétée avec tant d’énergie qu’on a l’impression que des effets suivront inévitablement dans le prochain mandat du tribun. Toutefois, alors que les entrepreneurs jouissent d’un climat leur permettant d’amasser des fortunes, nos conditions de vie et de travail se détériorent. Pourquoi?

Les gouvernements disent préconiser l’aide aux entreprises (surtout aux grandes) afin de stimuler l’économie et créer des emplois. L’élite politique, caractérisée par la pensée néolibérale, suppose que le « créateur de richesses » n’est nul autre que l’entrepreneur; du boss d’la shop au grand investisseur multimillionnaire, voire multimilliardaire.

Il est faux de dire que les entrepreneurs créent de la richesse. Se sont les producteurs, les travailleurs, qui s’activent dans l’usine ou qui tapent à l’ordinateur au bureau, qui créent cette richesse. Si l’entreprise fait de l’argent, qu’elle est rentable, c’est que les travailleurs y fournissent un travail suffisant. Si l’entreprise fait des profits, c’est qu’elle rémunère moins les salariés que la valeur du travail produit. Il serait incohérent pour un capitaliste de vous redonner la totalité de la valeur de votre travail. Il se retrouverait les mains vides avec un budget à zéro. C’est pourquoi votre salaire est toujours plus bas que la valeur du travail que vous procurez.

Mono_05L’argent public dans les poches du privé

Le discours économique (néo)libéral place l’entrepreneur au cœur du processus de « création de richesses ». Les travailleurs y sont considérés comme « impotents et nécessitant un maître ». L’État est quant à lui un monstre « gaspilleur et inefficace ». Le rôle de l’entrepreneur capitaliste devient alors primordial pour investir afin de créer des emplois. Le discours des élites valorise ainsi l’investissement privé, en opposition à l’investissement public direct de l’État. La création d’emplois devient alors une conséquence éventuelle de l’activité capitaliste et non son but premier.

Ainsi, il faut répondre aux caprices des entrepreneurs pour « encourager » l’investissement privé. Les patrons exigent moins de règles concernant les conditions de travail et la polyvalence des salariés (lire ici précarité). Ils tentent par tous les moyens de diminuer les coûts de main-d’oeuvre (dont les salaires). En outre, les mesures fiscales avantageuses dont bénéficient les entreprises (faible imposition, crédits d’impôt, subventions, etc.) sont impensables pour le simple citoyen. À titre d’exemple, un jeune entrepreneur d’une PME m’a déclaré à quel point le nombre de subventions et d’« investissements » dont son entreprise pouvait faire l’objet est ridiculement élevé. Même les agrafes de sa brocheuse de bureau sont subventionnées. Il a fini la conversation en affirmant qu’il est vraiment facile de démarrer sa compagnie au Québec tant les mesures sont avantageuses. Quand même un entrepreneur voit l’aspect outrancier de ces privilèges donnés aux entreprises…

Un retour en arrière

La montée en puissance du rôle des investisseurs privés comme moteur de l’économie et comme décideurs politiques engendre de sévères attaques aux conditions de travail, à l’emploi. Pour aider un capitaliste, il faut des conditions d’exploitation toujours plus accrues afin de retirer plus de profits « pour plus de capital à investir ». Cela passe par un coût que production plus bas : moins de réglementation, plus de précarité et des salaires plus bas. Au XIXe siècle, les capitalistes ont ajusté leur production grâce au « capital variable », c’est-à-dire sur le dos des travailleurs. Licenciements de masse et baisses de salaires drastiques étaient la norme pour l’entreprise, comme le chômage et la misère l’étaient pour les travailleurs. Le néolibéralisme n’est que le retour des politiques libérales du XIXe siècle. Les effets de ces attaques s’accentuent au fur et à mesure que le syndicalisme recule et que la gauche politique de désagrège. Les amis des capitalistes présents aux différents paliers de gouvernement aident grandement les entreprises en votant des lois dans leur intérêt, comme, par exemple, en maintenant le salaire minimum sous le seuil de la pauvreté pendant des décennies.

De l’argent, il y en a…

Au cours des dernières années, le Québec a connu une perte d’emplois à temps plein comblée en partie par une hausse d’emplois à temps partiel. Ces emplois précaires et souvent moins bien payés ont remplacé des emplois dont les conditions étaient beaucoup plus intéressantes. Or, avec l’application de toutes ces politiques avantageuses pour le Capital, pourquoi n’avons-nous pas récupéré un quelconque bénéfice? La manière dont investit les capitalistes est faite dans leurs intérêts, non pas dans ceux des conditions de travail et des salaires des travailleurs. Si l’on facilite la marge de manœuvre des capitalistes, ils prendront toute cette marge. C’est dans leur nature de faire ce qui les avantage comme il est dans l’intérêt des travailleurs d’exiger un emploi stable et bien payé.

Encore pourrait-on rétorquer que l’investissement privé demeure la meilleure manière d’avoir de nouveaux emplois, quoique précaires et mal payés. Toutefois, une récente étude de l’IRIS montre que les entreprises font de la surépargne, c’est-à-dire qu’elles accumulent du capital et ne l’investissent pas en nouveaux emplois ou même en hausse de salaire. Pourtant, avec les taux d’intérêt actuellement bas, une tendance à l’investissement devrait être observée. Pour un capitaliste, épargner ne rapporte pas beaucoup et emprunter coûte moins cher. Sans aboutir à une conclusion claire sur les causes de la surépargne, l’étude nous renseigne sur le phénomène de son accélération dû à des baisses d’impôts sur le capital :

« Tant au Canada qu’au Québec, la tendance à la suraccumulation remonte aux années 1990 et s’est intensifiée dès les années 2000. Nous pouvons en conclure, tant à partir de nos données que de celles de l’étude de Stanford, que si les sources de revenus qui ont nourri cette accumulation proviennent d’un taux de profit avant impôts demeuré stable à environ 9 %, ce sont les baisses d’impôts consenties aux entreprises pendant les années 1990 et surtout à la fin des années 2000 qui ont augmenté significativement le flux de revenus sources d’épargne. Alors qu’elles devaient avoir un impact en stimulant l’investissement, elles ont plutôt stimulé la surépargne. »

C’est d’ailleurs The Economist, comme la note de l’IRIS le rappelle, qui s’inquiète de la surépargne en Asie et de ses conséquences néfastes sur la croissance économique. Les entreprises sont riches, mais ne stimulent pas l’économie en injectant dans celle-ci leurs liquidités. Il est non seulement faux de penser qu’une entreprise qui réussit va donner de meilleurs salaires, mais en plus celle-ci n’investira même pas dans de nouveaux emplois.

On semble oublier, volontairement ou non, que les « investisseurs » ont naturellement tendance à accumuler et que la décision d’investir ce Capital est justement privée. On peut encourager l’investissement privé, mais il ne faudrait surtout pas le forcer! Nous serions alors obligés de faire intervenir davantage l’État dans l’économie, minant ainsi la « concurrence » du « libre marché » censée nous garantir paix et prospérité! Comme le disait Marx dans Le Capital, « du Capital, c’est du travail mort »… et rien d’autre.

Une riposte politique syndicale s’impose

Les ressources capitalisées et l’aide excessive donnée aux entrepreneurs pourraient amplement permettre la création de nombreux emplois bien rémunérés. Une riposte syndicale, accompagnée d’une formation politique défendant les intérêts des travailleurs, permettrait de ramener les produits du travail vers les vrais « créateurs de richesses », les travailleurs. Une riposte syndicale est nécessaire pour contrer la précarité et les baisses de salaires, autant pour les salariés syndiqués que non syndiqués. Mais, seule une formation politique sera en mesure de faire voter des lois pour taxer le Capital, augmenter le salaire minimum à un niveau décent et réglementer le monde du travail à l’avantage des travailleurs.

Cela pourrait notamment prendre la forme d’une interdiction des agences de placement, plaie ouverte du monde du travail. Ces agences agissent comme tiers dans la production. Elles engagent des employés à la place d’un patron qui lui, « loue » leurs services. Les entreprises n’ont ainsi pas de compte à rendre aux travailleurs, seulement à l’agence. Dans l’autre sens, le patron des employés, c’est l’agence. Il est alors plus difficile de créer un rapport de force, car les salariés sont disséminés à travers les réseaux de l’agence. Par exemple, une agence reçoit 22$/h d’un patron pour un employé qui fournit un travail dans son entreprise. Toutefois, l’agence paie ce travailleur 12$/h, réalisant un profit de 10$/h à titre d’intermédiaire.

Changer de système

Tant que l’on vivra dans une économie capitaliste, on subira de nouvelles attaques sur nos conditions d’existence. Nous devons dépasser cette économie de l’exploitation et du privilège. Le constat est clair : l’économie capitaliste marche en fonction des profits, non en fonction des besoins. Les emplois ne seront jamais une priorité sous le capitalisme. Nous avons besoin d’une réelle démocratie politique et économique, d’un pouvoir redevable et révocable ainsi qu’un contrôle démocratique de la production et de la distribution. Rappelons-nous que durant la crise des années 1930, pendant que les travailleurs du Québec brûlaient leur cadre de porte pour se chauffer l’hiver, le chômage était inexistant en URSS. Loin de nous la volonté de répéter une expérience de gestion bureaucratique et totalitaire héritée du stalinisme. Toutefois, il est pertinent d’étudier l’expérience de planification de l’économie dans les pays du « socialisme réel » pour trouver des pistes de solutions à nos problèmes. L’histoire de ces pays montre que le socialisme sera démocratique ou ne sera pas.

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