Le samedi 11 octobre 2014, à travers de nombreuses villes d’Europe centrale et occidentale, des dizaines de milliers de personnes se sont réunies afin de dénoncer les projets d’accords commerciaux CETA et TAFTA, successeurs des fameux ACTA rejeté par le Parlement Européen en 2012 et autres accords commerciaux globaux dissimulés sous des acronymes parfaitement incompréhensibles pour le profane.
Le CETA pour « Canada-UE Comprehensive Economic and Trade Agreement » est, comme son nom l’indique, celui qui touchera directement le Canada. Il s’agit d’un accord économique commercial global de très grande ampleur conclu le 18 octobre 2013 entre le Canada de Stephen Harper et l’Union européenne du José-Manuel Barosso, qui consiste en fait en une « répétition générale », un terrain d’expérimentation avant l’entrée en vigueur prochaine du TAFTA (Transatlantic Free Trade Area) dont la substance est identique, mais qui impliquera l’Union européenne et les États-Unis. Ces deux conventions auxquelles il faut ajouter le traité TISA (Trade in Services Agreement), encore en négociation secrète, visent à instaurer un Grand Marché Transatlantique libéralisant les échanges dans tous les domaines du monde économique et commercial, et cela en sacrifiant encore un peu plus la souveraineté des peuples et des états et surtout, les acquis sociaux obtenus après des siècles de lutte d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique.
Négocié en secret depuis 2009 entre le Gouvernement du Canada et la Commission Européenne mandatée par les chefs d’États et de gouvernements de l’Union et cela, sans même consultation des élus du peuple, cet accord commercial, alors qu’il était encore secret a d’abord fuité dans une version quasi définitive par le biais d’une communication interne de la Commission au début du mois d’août. Il a finalement été officialisé en grande pompe à Ottawa le 25 septembre en présence de « l’élite » politico-économique des deux continents. Début novembre, le Président de la République française François Hollande est venu en personne au Canada, faisant même escale à Montréal, pour rencontrer des chefs d’entreprises canadiennes et signer des contrats avec eux dans le cadre de la mise en œuvre de cet accord, quand bien même il n’aurait pas encore été ratifié.
Soumettre les États aux marchés financiers
Bien que dépeint comme une avancée majeure dans les relations entre les deux puissances des deux côtés de l’Atlantique par la sphère médiatique, particulièrement en Europe, le CETA et le TAFTA constituent une étape supplémentaire dans la libéralisation toujours de plus en plus poussée de l’économie et des échanges transatlantiques et conduits encore à une plus forte soumission aux marchés financiers des États.
Il s’attaquent violemment à la Constitution, aux législations et aux réglementations des états chaque fois qu’elles constituent des « obstacles » à la libre concurrence, ces obstacles n’étant plus seulement les droits de douane et les réglementations douanières, ils conduisent à une véritable spoliation de la souveraineté des populations du Canada comme des états de l’Union européenne et cela notamment avec l’une des mesures principales et la plus décrier : le mécanisme de résolution des différends. Ce mécanisme donne aux multinationales la faculté de faire arbitrer des conflits les opposant aux états par des tribunaux arbitraux quand ces derniers adoptent des mesures entravant la libre entreprise ou le libre-échange. Ainsi, un élément fondamental de la souveraineté d’un état, son pouvoir de rendre la justice se retrouve conféré à une entité tierce qui ne fait l’objet d’aucun contrôle et d’aucun appel.
Pire encore, ces arbitres se voyant investis d’un pouvoir considérable d’infliger des amendes aux gouvernements, qui sera évidemment payé par les citoyens de ces États, et cela dans l’unique but de satisfaire l’expansion tentaculaire de l’économie de marché sur nos relations commerciales.
Nécessairement, afin de se protéger d’éventuelles sanctions, si illégitimes soient-elles, ces traités vont pousser les états à niveler vers le bas nos normes de protection sociale, le droit du travail sera remis en cause, car il ne permettra pas le productivisme effréné exigé par le monde de la finance, quitte à multiplier les inégalités et précariser encore, de plus en plus, les classes moyennes.
Nos normes sanitaires et environnementales elles aussi seront sacrifier pour ne pas aller contre la sacro-sainte libre entreprise et libre concurrence, quitte à ravager encore un peu plus la planète, premier exemple constitue celui du gaz de schiste, dont l’exploitation, encore interdite dans certains pays d’Europe devra être autorisé pour éviter les sanctions. Qu’importe les dégâts que cela représentera pour l’environnement, l’avenir de notre plus grand bien commun, le seul écosystème compatible avec la vie humaine est compromis pour le seul profit et les intérêts privés d’une tranche infime de la population.
L’exemple des OGM
Autre exemple fort et énormément critiqué en Europe est la question des OGM et plus généralement des modes de production agroalimentaires. Si aux États-Unis les hormones de croissance sont monnaies courantes dans l’élevage intensif, les OGM autorisés pour la consommation directement humaine, ou encore les poulets lavés au chlore, l’Union européenne n’a, soit pas encore tranché la question, soit interdit ces pratiques. Mais avec ces traités elle ne pourra pas empêcher les importations en Europe des produits contenants des OGM ou des produits contenants des antibiotiques dont les effets sur l’organisme ne sont pas encore objectivement établis, ni même encore leur apposer un étiquetage spécial afin de les distinguer : réglementer ce genre de pratique contreviendrait encore à ce but de libre-échange généralisé et total de l’économie, moyen de satisfaire l’appât du gain des élites économiques qui ne se soucient pas de l’avenir des classes moins aisées. À l’inverse, les produits alimentaires actuellement bannis aux États-Unis, notamment certains fromages, qui sont sous le coup d’une interdiction d’importation devront nécessairement être autorisés, et cela sans aucune réserve pour ne pas aller à l’encontre de ces règles libérales.
Pour les mêmes raisons, de nombreuses particularités culturelles risquent d’être noyées dans ce grand marché transatlantique, un produit dont l’appellation est aujourd’hui réglementée en fonction de son lieu de production, de mode artisanal de sa fabrication, des produits qui le composent vont pouvoir être délocalisés n’importe où et produit n’importe comment tout en se prévalant du nom possiblement prestigieux qui l’accompagne. C’est ainsi que nous nous retrouverons avec des vins californiens produits au Québec, du « véritable » sirop d’érable de Pologne, un vin de Toscane qui n’a jamais vu le sol de l’Italie, un emmental français fabriqué dans l’Ontario, etc. Les règlementations en vigueur devront nécessairement être abrogées puisqu’elles freineraient l’expansion économique d’une entreprise, quitte à se retrouver au final avec toutes ces saveurs uniformisées, aseptisées, dépouillées de leur caractère et leur charme originel.
La surveillance sur Internet
Une autre problématique levée par ces traités concerne un des nouveaux enjeux de notre temps qui n’était pas avant pris en compte par le droit commercial international puisque purement est simplement inexistant. Tout comme les acts étasuniens SOPA, PIPA, un large volet du CETA a trait à internet, notamment sa neutralité et son indépendance. Particulièrement au regard du contexte actuel : post-Snowden et scandale des écoutes de la NSA, mesures ultras liberticides pour réprimer la liberté d’expression sur internet après les menaces et les évènements récents, tout conduit les autorités à recourir à cette occasion pour remettre en question nos libertés fondamentales au nom de leur obsession sécuritaire qui ne semble plus avoir de limites. De plus, le CETA « ressuscite » le mécanisme de l’ACTA enterré en 2012 en permettant aux maisons de disques et autres grands industriels du cinéma d’exercer des pressions financières et parfaitement légales sur les fournisseurs d’accès internet afin que ceux-ci leur fournissent des données, normalement et évidemment privées sur les utilisateurs afin qu’ils sanctionnent ceux qui contreviendrait aux désidératas des grandes majors et studios de cinéma. Ces mesures n’étant évidemment pas contrôlées par un quelconque juge, elles sont parfaitement antidémocratiques, liberticides et violent la vie privée des utilisateurs. Jamais nous n’avons connu, du moins dans le « monde libre », une telle invasion dans notre vie privée, une telle atteinte à la liberté sur internet et à sa neutralité. Ces mesures ont aussi évidemment pour but de brider la liberté d’expression sur le net pour museler les activistes politiques de la toile, jugés beaucoup trop dangereux pour les États.
Aucun de ces traités n’a été négocié par une autorité jouissant d’une légitimité démocratique, ce sont des technocrates totalement déconnectés des réalités qui ont rédigé ces articles, le plus souvent sous la pression de lobbyistes n’ayant qu’en vue d’assoir la suprématie et la domination des multinationales sur la planète. Pourtant, ils auront, s’ils sont finalement adoptés, un impact considérable sur nos vies, sur notre consommation et nos modes de vie, les emplois créés que nous promettent les défenseurs de ces projets (cent mille selon eux) ne sont en réalité que de folles et démesurées estimations qui de toute manière, ne vaudront jamais le cout écologique et social du sacrifice qu’ils exigeraient pour des générations à venir.
Ratification
Il faut encore au CETA passer l’épreuve de la ratification par le Parlement du Canada et celui de l’Union européenne. Malheureusement, même si de nombreux eurodéputés ont montré leur sérieuse opposition à ce traité, ce n’est pas la coalition récemment élue aux élections européennes de mai 2014. Celle-ci est composée de conservateurs, de libéraux et de « sociaux-démocrates » ayant investi le luxembourgeois Jean-Claude Juncker (conservateur et ancien Premier ministre d’un paradis fiscal dont qu’il a largement contribué à bâtir) qui prend la suite directe de Jose-Manuel Barroso sur le plan de sa politique économique libérale et austéritaire. De ce côté de l’Atlantique, le gouvernement de Harper au Parlement d’Ottawa ne risque pas de s’y opposer plus, bien au contraire, ils en rêvent depuis des décennies et cette aspiration semble enfin pouvoir se concrétiser.
Forte heureusement, notre délivrance semble pouvoir provenir de la mobilisation populaire résultant de l’information des citoyens des enjeux et impacts de ces traités qui semblent porter ces fruits. Si les Parlements canadiens et européens adopteront sans rechigner les traités, il en sera à coup sûr différemment des assemblées nationales de chaque pays ou province. Ces accords auront à passer le test final des ratifications par chaque état membre de l’Union européenne et ceux-ci sont en grande partie réticents, même les plus importants, l’Allemagne et la France ont déjà émis de sérieuses réserves quant à l’adoption du volet sur les clauses d’arbitrages principalement. Mais c’est tout le traité qui risque de tomber s’il ne passe pas cette épreuve, quoi qu’en dise la Commission Juncker ou le gouvernement Harper.
Mais ne doutons pas qu’ils sauront manipuler le jeu politique pour faire passer finalement leur traité, quitte à l’édulcorer un minimum sur les points comme cela a déjà été fait pour le Traité de Constitution Européenne de2005, rejeté par le peuple, notamment en France par referendum, revenu « par la petite porte », via le Traité de Lisbonne de 2009, adopté et ratifié sans aucune consultation populaire.
La mobilisation contre les Traités Transatlantiques continue !
*** plus de 1 400 000 signatures en Europe pour l’ICE auto-organisée après le refus de la commission de valider l’ICE initiale *** et ce n’est qu’un début ***
Pour 11 pays le quorum est dépassé : Allemagne, Grande Bretagne, Autriche, Finlande, France, Slovénie, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne, l’Irlande et la Belgique.
Nous pouvons et nous devons faire beaucoup plus pour faire bouger la Commission européenne
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