Comment en est-on arrivé là ? : Histoire du mouvement étudiant

Le mouvement étudiant est aujourd’hui vu comme un important facteur de changement social, mais comment ce mouvement a vu le jour ?

Pour faire l’origine du mouvement étudiant en général, il faut remonter en 1946 avec la Charte de Grenoble qui définit les bases du syndicalisme étudiant. Si certes il existait déjà des associations étudiantes et des mouvements étudiants, cela marque un tournant sur deux points. Premièrement, les associations étudiantes se constituent sur des bases syndicales, et non plus en groupe d’intérêt. Deuxièmement, les mouvements étudiants se constitueront désormais sur la base d’organisations syndicales fortes, dotés de caisses de cotisations, de statuts, d’assemblée générale et de revendications communes à l’ensemble des étudiants.

Au Québec, on peut dater l’origine du mouvement étudiant en 1958 avec, la première journée de grève (6 mars), organisée dans le but de revendiquer la gratuité scolaire auprès du gouvernement Duplessis. L’Éducation est alors réservée aux seules élites de la bourgeoisie anglophone au détriment du peuple canadien-français. Cette étincelle de mouvement étudiant rentrera en convergence avec la charte de Grenoble, lorsque la première organisation syndicale étudiante sera fondée en 1964, il s’agit de l’Union Générale des Étudiants du Québec (UGEQ 1964-1969), qui reprend la revendication de gratuité scolaire.

1964, c’est aussi la création du ministère de l’Éducation. Nous sommes en plein boom d’après-guerre et le Québec a besoin de combler son retard sur le reste du monde.

En termes de main-d’œuvre qualifiée, ce sont ces conditions qui aboutiront en 1967 à la création des CÉGEP. Malheureusement, les conditions n’ont pas changé et l’éducation reste réservée à la riche minorité anglaise, et les universités anglaises (McGill) ne parviennent pas à intégrer ce surplus d’étudiants francophones.

Cette situation créa les conditions qui aboutirent à la première grève générale du mouvement étudiant, du 8 octobre au 9 décembre 1968. Cette grève engendrera la création de L’UQAM, ainsi que l’avènement du mouvement McGill en Français. Cette première grève fut donc victorieuse, mais elle devait voir l’autodissolution de l’UGEQ quelque temps plus tard en 1969, n’ayant pas rempli tous ses objectifs aux yeux des militants.

Mais les crises que le Québec subit au détour des années 70 amènent une fragilisation des conditions étudiantes. La lutte reprend donc contre le gouvernement Bourassa, en 1974 pour réclamer la suppression des tests d’entrée à l’Université ainsi qu’une bonification des prêts et bourse. Cette seconde grève générale sera un succès sur toute la ligne ce qui réhabilite le modèle de syndicalisme étudiant combatif, en plus d’avoir mis en réseau de nombreux militants étudiants. Ces deux facteurs contribuèrent à l’émergence d’une nouvelle association étudiante unitaire (Cégep + Université) et nationale revendiquant la gratuité scolaire et basée sur le principe du syndicalisme de combat : l’ANÉQ (l’Association Nationale des Étudiants du Québec).

Le modèle de l’ANÉQ permit la tenue d’une grève offensive sur la question des prêts et bourses en 1978, laquelle déboucha sur une autre victoire et donc à une bonification du régime d’aide. 1978 amènera néanmoins un nouveau modèle d’association étudiante, avec la création du RAEU (Rassemblement des Étudiants Universitaires du Québec) et de la FAECQ (Fédération des Associations Collégiales Étudiants Collégiales du Québec). Ces nouvelles associations abandonnent la création d’un rapport de force par la grève générale destinée à faire plier le gouvernement, pour miser sur un compromis obtenu au terme de négociations. Ce sont ces associations qui préfigureront le corporatisme et le concertationisme des fédérations étudiantes douze ans plus tard.

Le retour des libéraux au pouvoir et leur intention de dégeler les frais de scolarité contrairement à leurs promesses déclenchera en 1986, une grève éclair menée par l’ANEEQ et qui fera plier le gouvernement en deux semaines. Face à cette victoire éclatante, le RAEU et la FAECQ n’eurent d’autre choix que de se dissoudre. Néanmoins, l’ANEEQ connut un échec partiel au niveau des prêts et bourses lors de la grève de 1988, ce qui contribua à l’ébranler.

Mais ce n’était rien comparé à la défaite monumentale de la grève de 1990. En pleine vague de montée du néolibéralisme et de défaite des mouvements sociaux, les libéraux entreprennent le premier dégel des frais de scolarité. La division des tactiques et la trahison des partisans du concertationisme amèneront le mouvement étudiant à son plus grand échec à ce jour. La plus grande hausse de frais de scolarité entraînera le déclin de l’ANEEQ, qui fut éclipsé au profit des fédérations étudiantes, la FECQ et la FEUQ, et de leurs principes de double majorité et de concertation.

C’est alors l’hégémonie de la FEUQ et de la FECQ à partir de 1990. L’ANEEQ est dissoute en 1993. Le dégel est évité de justesse en 1996, lorsque le Mouvement pour le Droit à l’Éducation (MDE), qui tentera de relayer l’ANEEQ de 1995 à 1999, parvient à pousser la FECQ-FEUQ à établir un rapport de force contre Marois, alors ministre de l’Éducation. Néanmoins, la FECQ-FEUQ poussa encore à l’échec en acceptant un compromis qui permettra l’instauration de la taxe à l’échec dans les Cégeps.

2001 voit la création de l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante, l’ASSÉ, qui renoue avec les tactiques de syndicalisme de combat et de démocratie directe, pour une gratuité scolaire. L’ASSÉ parviendra à ébranler les fédérations, avec la grève de 2005, la plus longue grève étudiante jamais vue à l’époque, contre la conversion de 103 millions de dollars de bourse en prêts. C’est lors de cette grève que le carré rouge fit son apparition. Le rapport de force ainsi créé permet de faire plier le gouvernement Charest. Ce dernier lance néanmoins une hausse de frais de scolarité à l’automne 2007. La grève ne parvenant pas à imposer un rapport de force suffisant, elle est alors défaite, entraînant la seconde hausse de frais de scolarité de l’histoire du Québec. Fort de cet échec, l’ASSÉ devait apprendre de ses erreurs dans ce qui allait être la plus grande grève de l’histoire du mouvement étudiant.

Dès 2010, l’ASSÉ commence à se mobiliser sur l’éventualité d’une hausse de frais de scolaire de la part du gouvernement libéral. Convaincue que seul un rapport de force déterminant parviendra à faire plier le gouvernement, elle établit une escalade des moyens de pression en vue de culminer vers la grève générale illimitée. L’idée commence à circuler dès le printemps 2011 et une première journée de grève est organisée le 10 novembre 2011, mobilisant plus de 30 000 personnes. La grève générale que nous connaissons comme le printemps 2012 ou le printemps érable est donc déclenchée à partir du 13 février 2012, contre la hausse des frais de scolarité de 1625 $, soit 75 %. Le gouvernement tente de jouer la ligne dure et d’être inflexible, refusant toute négociation. Mais le rapport de force change avec la manifestation nationale du 22 Mars, 200 000 personnes se retrouvent dans les rues, contre la hausse. Le gouvernement s’ouvre finalement aux négociations après 73 jours, en tentant néanmoins d’en expulser l’ASSÉ désormais devenue la CLASSE, au profit des fédérations. Le gouvernement tente d’étirer les négociations pour faire s’essouffler le mouvement, mais ce dernier résiste. Face à la contestation, le gouvernement réagit en promulguant la loi 78, qui permet de suspendre le droit de manifester pour plus de 50 personnes. La loi valide aussi les injonctions contre les lignes de piquetage, et permet de retirer ses cotisations à une association étudiante, de la mettre à l’amende et de la dissoudre. La police met alors en œuvre plusieurs coups de filet en prenant les manifestants en souricière, pour tenter de briser le mouvement par la force. Cette tactique a pourtant un effet contraire puisqu’elle renforce le mouvement, lui permettant de déborder de son caractère purement étudiant pour revêtir un caractère social. Le mouvement culmine donc, avec la manifestation nationale du 22 mai avec plus de 500 000 manifestants dans les rues. Le gouvernement contraint par les échéances électorales ne peut être que défait. Il est alors remplacé par le gouvernement Marois qui annule la loi 78 et la hausse. Néanmoins, la CLASSE ne parvient pas à reconduire le mouvement à l’automne 2012 pour obtenir la gratuité scolaire. Pire le gouvernement arrive même à dégeler les frais de scolarité avec la complicité des fédérations lors de son sommet sur l’éducation.

Des projets sont donc entamés pour mener des campagnes contre l’austérité dès le printemps 2014. En 2014, le gouvernement Marois est remplacé par le gouvernement Couillard, qui entame dès l’automne 2014 une série de coupures et de mesures d’austérité. Une réponse semble nécessaire de la part du mouvement social, mais alors que les syndicats adoptent une stratégie de front commun à l’automne 2015, le mouvement étudiant opte pour la grève générale au printemps 2015.

L’objectif du printemps 2015 était donc de lancer une vaste grève étudiante contre l’austérité du 21 mars au 1er Mai (journée internationale des travailleurs), en passant par une manifestation nationale le 2 avril. Malheureusement, les mandats ne sont pas adoptés, le manque de coordination et l’absence de mobilisation entravent donc le mouvement dès son départ. Ces problématiques amèneront l’exécutif de l’ASSÉ à vouloir reporter la grève à l’automne ce qui entraînera sa destitution en congrès. La grève est néanmoins fortement minée par les injonctions ainsi que les occupations policières. Le mouvement ne parvient pas à gagner de nouveaux grévistes, pire les mandats de grève ne parviennent même pas à se prolonger jusqu’au 1er mai pour plusieurs associations. L’austérité n’est pas renversée, et le mouvement étudiant ne parvient pas à faire la jonction avec le mouvement ouvrier.

Nous voilà 3 ans plus tard, à l’approche de nouvelles élections. Néanmoins, les problématiques restent les mêmes il est toujours aussi impératif de combattre pour l’accessibilité aux études, contra la précarité étudiante, en misant le plus grand rapport de force possible.

ASC

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