Mai 68: La révolution manquée

Le mois de mai s’achève et avec lui une grande rétrospection sur les événements de mai-juin 1968. Maintenant que les médias bourgeois et les renégats du mouvement (Cohn-Bendit en tête) on finit leur grande campagne de révisionnisme idéologique contre la réalité historique il nous paraît important de faire un bilan de ces événements en faisant son histoire et en les resituant dans leur contexte historique et international. Après vous avoir présenté les origines du mouvement le 22-Mars-1968, nous vous présentons notre perspective sur le plus grand mouvement ouvrier et étudiant de l’Histoire.

 

La situation internationale

La France en 1968 n’est pas un îlot de contestation isolé. Partout la colère gronde en cette année 1968. À Prague, Bonn, Rome, au Vietnam, à Mexico, Tokyo, partout la contestation de l’ordre capitaliste est à l’ordre du jour. Ce renouveau des forces sociales, ce décuplement des conflits et des luttes de classe, n’est pas totalement imprévu. Il correspond à ce que les trotskystes avaient déjà prévu en 19631 et qu’ils nommaient la dialectique des trois secteurs de la révolution mondiale. Les trotskystes, internationalistes, envisageaient en effet la révolution comme mondiale. Cette révolution surviendrait en se développant sur trois fronts. Premièrement à travers les luttes anti-impérialistes pour la libération nationale, dans les pays coloniaux et semi-coloniaux (guerre du Vietnam, conférence de la Havane2, etc.). Deuxièmement à travers les luttes antibureaucratiques les pays du glacis soviétique. Et troisièmement avec une fin de la prospérité d’après-guerre qui entraînerait un regain des luttes ouvrières et des luttes de la jeunesse (donc des luttes étudiantes). Mais les secteurs de lutte ne sont pas métaphysiquement isolés, au contraire ils sont dialectiquement liés. Le développement de la lutte des classes dans chaque secteur entraîne un regain du développement de la lutte dans d’autres secteurs. Les révolutions anti-impérialistes privent les pays industrialisés de l’extra de plus-value provenant du pillage et de la surexploitation des pays coloniaux et semi-coloniaux, ce qui entraîne les pays industrialisés à liquider l’État providence et à appliquer l’austérité, entraînant le développement de la résistance du côté du prolétariat. Les luttes des pays industrialisés stimulent la contestation des pays du glacis en créant (ou en menaçant de créer) des pôles communistes réellement démocratiques en alternative à Moscou. Les révoltes antibureaucratiques révèlent les failles des régimes staliniens, dégageant les mouvements révolutionnaires des pays de l’occident et du tiers-monde de leur influence. Car ces trois fronts de luttes étaient aussi fortement marqués par l’anti-stalinisme et la critique des vieilles bureaucraties. En Amérique du Sud, les foyers de guérilla critiquaient les directions des vieux PC, qui leur refusaient tout soutien3. Les pays du bloc de l’Est contestaient les privilèges des bureaucrates staliniennes, ainsi que la censure et la répression imposées par ces derniers. Dans les pays industrialisés aussi on critiquait les partis staliniens passés au réformisme, mais aucun parti ne fut aussi coupable de trahison que le Parti Communiste Français. Les bureaucrates du PCF étaient définitivement passés dans le camp de la contre-révolution, et en mai 68, ils furent les meilleurs alliés et les idiots utiles de la contre-révolution. Sans leur intervention, la révolution aurait triomphé.

 

La situation française

La France de 1968 est écrasée depuis 1968 sous le poids de l’État bonapartiste-gaulliste : la Ve République. En 1958 en pleine crise Algérienne4 de Gaulle est rappelé au pouvoir en urgence pour rétablir la situation coloniale. Sous la menace d’un coup d’État, l’Assemblée nationale se suicide en votant les pleins pouvoirs à De Gaulle. De Gaulle peut gouverner par ordonnance (sans l’aval du parlement) et en profite pour faire rédiger une constitution autoritaire et bonapartiste conçue pour lui sur mesure. C’est la mort de la IVe République et l’avènement de la Ve République. Or la Ve République n’est pas un régime parlementaire, mais présidentiel, c’est le président qui gouverne. Sous cette ‘’république’’, de Gaulle, militaire, est ce président non élu (jusqu’en 1965) qui peut gouverner par ordonnance et dissoudre le parlement à sa guise. De Gaulle peut aussi dissoudre des organisations sur décret. Dans ce régime, les médias sont contrôlés par l’État sous la tutelle d’un ministère de l’information, et de l’ORTF. La censure est appliquée à la télévision et dans le cinéma. L’armée est énorme, plus de 300 000 soldats, la conscription est obligatoire, à cela s’ajoutent 60 000 policiers, 16 000 gendarmes et 14 000 CRS. À cela s’ajoute le Service d’Action Civique (SAC), groupe paramilitaire gaulliste dont les membres regroupent aussi des dignitaires de police (sorte de chemises brunes gaullistes). L’État gaulliste est donc fortement bureaucratique et autoritaire. Voilà dans quel contexte la crise va commencer à se déployer.

 

La genèse du mouvement

Dès 1965, une opposition de gauche commence à se former par rapport au Parti Communiste. En 1965, le PCF décide de ne pas se porter candidat à la présidentielle pour se ranger derrière Mitterrand. Une opposition interne se forme pour contester cette décision, particulièrement au sein de l’Union des Étudiants Communistes. Cette opposition sera rapidement purgée par l’appareil de parti répressif du PCF (c’est à dire expulsé sans sommation sur ordre du comité central). De ces expulsions naîtront des organisations à gauche du PCF, telles que la Jeunesse Communiste révolutionnaire, la JCR trotskyste ou l’Union des Jeunesses Communistes Marxiste-Léniniste, l’UJC(ml) maoïste-spontanéiste. Ces organisations dont nous avons déjà parlé5, militaient activement contre la guerre du Vietnam (pour la victoire du peuple vietnamien, contre l’impérialisme US) et se retrouvaient dans un vaste mouvement de contestation étudiant avec des anarchistes et des libertaires. C’est le 22 mars 1968, que commence la contestation étudiante, exigeant à l’origine la libération de camarades prisonniers politiques, le mouvement se change rapidement en un mouvement de contestation de l’Université elle-même (dans ses structures archaïques et autoritaires bourgeoises), et en un mouvement de contestation de l’ordre bourgeois en général. C’est avec la fondation du Mouvement-du-22-Mars que débute l’étincelle de l’embrasement. La contestation qui naît à ce moment-là à Nanterre (Paris-X) se propage de façon rampante dans les autres universités, mais à Nanterre la contestation est telle qu’elle force la fermeture de l’Université. Les étudiants quittent donc la banlieue de Nanterre pour se diriger vers la Sorbonne, en plein cœur du Quartier latin, où se tient un meeting politique. Les étudiants feront la jonction et à partir de ce moment la contestation universitaire se propagera, mais cette fois comme une traînée de poudre.

 

Première Partie : Du premier mai à la rue Gay-Lussac

Le 1er mai 1968 est un premier mai historique. C’est la première fois depuis 19546 qu’une manifestation sera organisée en France pour le premier mai. Depuis 1954, les premier mai se contentait de rassemblement (statiques) sans manifestation (sans marche). Le premier mai 1968 est donc la première grande manifestation de Mai-Juin 1968, elle est un succès avec plus de 100 000 manifestants. Au jour de la manifestation, des étudiants et militants d’extrême gauche tentent de s’intégrer au cortège CGT-PCF-PSU14. S’ensuit de violents heurts avec le Service d’Ordre (SO) CGT qui blesse 17 personnes. Les staliniens refusent que les révolutionnaires se joignent au cortège pour y rependre leurs idées. Les étudiants sont qualifiés de provocateurs et de gauchistes7 à la solde de Pékin ou de la CIA ! Mais les « gauchistes » ne sont pas que dans le collimateur de l’appareil répressif du PCF, mais aussi dans celui des gaullistes. Le 1er mai, Daniel Cohn-Bendit et sept autres leaders sont convoqués en conseil disciplinaire universitaire sans justificatifs8. En parallèle, la contestation se poursuit à Nanterre (foyer de la contestation étudiante) ou une journée anti-impérialiste avec débats-discussions dans le cadre d’une occupation de la faculté est organisée pour le 2 mai. Ces événements entraînent alors la fermeture de Nanterre par son doyen, Grappin, en collaboration avec Alain Peyrefitte ex-ministre de l’information9 et actuel ministre de l’Éducation. Le mouvement de Nanterre décide donc de se réunir à la Sorbonne en solidarité avec les étudiants là-bas, qui organise un meeting. Le 3 mai les étudiants de Nanterre et de la Sorbonne (Paris X et IV), se réunissent dans la cour de la Sorbonne, contre la convocation et les menaces de sanctions envers les 8 camarades étudiants, contre la fermeture de Nanterre et contre les actions des groupuscules d’extrême droite qui avaient incendié des locaux10. Sur place, le meeting s’organise. Sont présent Daniel Cohn-Bendit du Mouvement-du-22-Mars11, Alain Krivine de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire12 (la JCR trotskyste), Jacques Sauvageot dirigeant de L’UNEF13 et militant du PSU14, des militants de la Fédération des Étudiants Révolutionnaires15 (la FER aussi trotskyste) qui coorganisent le service d’ordre avec la JCR, l’Union des Jeunesses Communistes Marxiste-Léniniste16 (l’UJC(ml) maoïste) et de nombreux étudiants non militants. Le recteur décide alors face aux événements de décréter la fermeture de la Sorbonne et d’appeler à une intervention de police pour « rétablir l’ordre en expulsant les perturbateurs ». La suspension des cours a pour effet contraire de décupler les effectifs du meeting. Les policiers arrivent donc pour occuper la Sorbonne (d’ordinaire interdite d’accès à la police). Sur place, ils se heurtent au service d’ordre des organisations « gauchistes » et à la masse des étudiants qui se dénombrent par millier en scandant « CRS-SS ». Les premiers pavés de mai 68 sont lancés boulevard St-Michel. Les affrontements violents font 574 arrestations dont 4 condamnations à de l’emprisonnement, mais pour une fois 83 blessés du côté policier. À partir de ce moment, le mouvement se diffuse dans les universités de tout le pays.

 

En parallèle commence à se développer une agitation ouvrière dans les usines. Le 3 mai, les ouvriers de Sud-Aviation protestent contre des semaines de plus de 50h ! La tactique des staliniens de la CGT consiste alors en des interruptions de travail de quelques minutes par jour (histoire d’étouffer la contestation en faisant bonne figure). La grève générale allait bientôt exploser dans cette usine, au mépris des consignes de grève des bureaucraties CGT-PCF. Le 3 mai éclate aussi une grève surprise des chauffeurs d’autobus parisien. Le 5 mai, débrayage de 600 ouvriers dans une raffinerie de sucre. Le 6 mai grève des PTT (postes télégraphes téléphones) et des contrôleurs aériens. Les mineurs de fer de leur côté étaient en grève depuis un mois. Le 9 mai éclate la première grève avec occupation17 dans une usine à Givet, violemment délogé par la police. Le prolétariat est en marche, les étudiants aussi, la conflagration semble inévitable.

 

Côté étudiant les affrontements se poursuivent entre universitaires, rejoint par les lycéens18 des CAL, groupes d’extrême gauche et CRS. 4 Mai, une coordination s’établit entre les différentes organisations étudiantes. Cet état-major du mouvement étudiant constitue une direction révolutionnaire du mouvement étudiant, formé par l’UNEF, les CAL, le Mouvement-du-22-Mars, la JCR et l’UJC(ml)19. Ensemble ils fondent le journal Action, tiré à 50 000 exemplaires pour le 7 mai puis à 100 000 à partir du 13 mai, le journal entièrement vendu à la criée et imprimé avec la collaboration des ateliers populaires des beaux-arts (qui fournirent les célèbres affiches sérigraphie de mai 68). La coordination étudiante permet désormais de prolonger le mouvement, de lier ensembles les différents lycées et universités pour diffuser la contestation (notamment en région)20 et de multiplier les actions concertées. Les heurts se poursuivent donc entre CRS et étudiants, notamment lors de la journée du 6 mai 1968 qui voit la comparution de Cohn-Bendit et de ses sept camarades, une manifestation de solidarité est organisée qui se solde par des affrontements avec plus de 422 arrestations. Les manifestations se poursuivent le 7 mai à Denfert-Rochereau, le 8 mai à la Halle aux vins, dès lors les ouvriers commencent à se joindre aux étudiants. Le 9 mai, nouvelle manifestation devant la Sorbonne au cri de « La Sorbonne aux étudiants ». Devant l’ampleur des manifestations, le ministre Peyrefitte fait une sortie refusant de rendre la Sorbonne aux étudiants (maintenant les occupations policières) et les traitants de « poignée de troublions », c’est dire si le gouvernement maîtrise la situation. Le dispositif policier est renforcé, désormais la police n’occupe plus seulement la Sorbonne, mais tout le Quartier latin !

Cette vague de manifestation culmine le vendredi 10 mai 1968 avec la première nuit des barricades. Le 10 mai, des dizaines de milliers d’étudiants et de manifestants se rassemblent place Denfert-Rochereau, ils se dirigent vers le Quartier latin dans le but d’encercler les forces de police. Vers 21h les manifestants commencent à dépaver la chaussée, sous les pavés la plage, c’est le début des premières barricades de mai 68 rue Le-Goff et Gay-Lussac. Progressant de manière continue les manifestants parviennent à ériger pas moins de 60 barricades. Vers 2h du matin, l’ordre est donné aux CRS de charger et de détruire les barricades. Les CRS s’en donnent à cœur joie, bilan :450 arrestations, des centaines de blessés évacués en civières dont 20 dans un état critique. Cette violence choque les masses, déjà exaspérée par le régime gaulliste, et les retournent contre lui en solidarité avec les étudiants, malgré les tentatives de divisions des staliniens. À partir de ce moment, la jonction entre les masses et les étudiants est effectuée, les prolétaires déjà en mouvement vont passer à l’action : la révolution est en marche !

 

Seconde Partie : De la grève générale à la seconde nuit des barricades

Le samedi du lendemain, les gaullistes vont tenter de reprendre la main. Changement de stratégie avec le retour du premier ministre Pompidou qui écarte Peyrefitte (dont les positions sont jugées provocatrices). Pompidou décide de libérer les prisonniers politiques et de rendre la Sorbonne. Le 11 mai, les appareils syndicaux aussi vont essayer de reprendre le contrôle des mouvements de grève, car les grèves vident les caisses syndicales et que les bureaucrates vivent de ces caisses syndicales.

 

Les bureaucrates (dont nous allons ici faire le portrait) ont besoin de travailleurs au travail pour qu’ils produisent de la valeur, qu’on leur en rétribue des miettes sous forme de salaires et ensuite que les bureaucrates leur extirpent ces miettes pour s’extraire eux-mêmes du salariat et être payés à diriger des négociations syndicales pour augmenter les salaires, pour augmenter les cotisations21, pour augmenter leurs propres rétributions de bureaucrates (faite sur le dos du prolétariat). Les bureaucrates sont donc une classe artificielle, mais distincte dans sa composition et son intérêt du prolétariat ; mais dont l’intérêt converge, pour des raisons divergentes, avec celui du prolétariat sur la question des salaires. Néanmoins, la bureaucratie ne consent pas à ce qu’on réduise ces privilèges, c’est pourquoi elle s’oppose à deux revendications fondamentales du prolétariat (qui auraient pour conséquence de baisser les salaires) : la réduction du temps de travail et la réduction des cadences22. C’est notamment le cas de la divergence des ouvriers de Sud-Aviation avec leurs bureaucrates staliniens qui ne mettent en œuvre aucun moyen de pression sérieux (à l’exception des redoutables mini-grèves de 15 min par jour) pour obtenir une réduction du temps de travail23, contraire aux intérêts de la bureaucratie. La bureaucratie CGT-PCF en est un des pires exemples. Officiellement révolutionnaire et anticapitaliste, elle est officieusement réactionnaire et contre-révolutionnaire. De 1944 à 1947, le PCF au pouvoir avec les gaullistes24 et la CGT interdisent les grèves25 sous prétexte de ne pas entraver la reconstruction. « La grève c’est l’arme des trusts » déclarent-ils. On comprend mieux dès lors que des bureaucrates qui ont eu pour mission d’empêcher la grève pendant trois ans s’opposent à la grève avec autant de virulence. Ajoutons que la bureaucratie cherche à mener des négociations usines par usines (à la place des ouvriers) et que ses effectifs sont insuffisants pour couvrir toutes les négociations qui émanent dans le cadre d’une grève générale. Ce qui permet au mouvement d’échapper au contrôle de la bureaucratie et l’implication des masses et de la base dans leur syndicat.

 

C’est donc dans cette optique que la bureaucratie syndicale (particulièrement la CGT) va essayer de reprendre le contrôle. Mais tous les syndicats et syndicalistes ne l’entendent pas de cette oreille et certains entendent également prolonger le mouvement. Les syndicats déclarent donc une grève générale de 24h pour le 13 mai en solidarité avec les étudiants, contre le régime. L’appel est lancé par les quatre grandes centrales syndicales : la CGT26, la CFDT27, FO28 et la FEN29. C’est un changement de ton pour les appareils syndicaux et aussi pour le PCF30 qui avait jusque-là qualifié les étudiants de provocateurs.

 

Le 13 mai se tient donc la journée de grève générale prévue par les syndicats. Cette fois contrairement au premier mai les mouvements étudiants et les groupes d’extrême gauche peuvent se joindre au cortège. Daniel Cohn-Bendit apparaît au premier rang au côté de George Séguy, secrétaire général de la CGT. La grève générale est massive, elle permet à tous les travailleurs de se dégager du fléau du travail pour s’investir dans la politique. La manifestation à Paris est monstre, plus d’un million de manifestants. Les prisonniers politiques sont libérés, la Sorbonne est rendue aux étudiants. On pourrait croire que la situation va reprendre son cours normal, c’est tout le contraire : « Ce n’est qu’un début continuons le combat ».

 

Le 14 mai, les événements se décuplent en intensité. D’une part, la réouverture des universités permet l’occupation des universités par les étudiants qui se trouvent à être en grève (et aussi l’occupation des lycées). À la Sorbonne, au cœur du Quartier latin, les salles de classe et les amphithéâtres sont occupés en permanence. Les salles sont le lieu de débats et de réunions permanentes. Des comités et des commissions sont créés pour traiter de chaque problématique, et pour mener des actions. Des Assemblées générales s’y tiennent en permanence. Dans la cour de la Sorbonne, des kiosques se tiennent avec tous les groupes d’extrême gauche. Les campus et les lycées deviennent des bases rouges de la contestation. Dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, 5000 personnes siègent en assemblée permanente du soir au matin. D’autre part la grève générale, que les bureaucrates avaient espéré de courte durée se poursuit. À Sud-Aviation, les ouvriers (2600 travailleurs) déclenchent la grève générale au mépris des consignes de la CGT. Cette fois, il y a une différence majeure, la grève ne durera pas 24h c’est une grève illimitée. Ils sont rapidement rejoints par les 4000 ouvriers de Renault à Cléon. Le mouvement ouvrier se développe spontanément, sans l’aval ni des appareils syndicaux ni de la bureaucratie. Outre le caractère illimité de la grève, un autre aspect témoigne du haut niveau de conscience du prolétariat : l’occupation des usines. L’occupation des usines est un signe de situation révolutionnaire. Auparavant, les ouvriers quittaient les usines et restaient chez eux lors des grèves. Les occupations font leur apparition en Russie en 1917, en Italie en 1919-120, et en France en mai-juin 1936 durant le Front populaire. Les grèves avec occupation permettent aux ouvriers de se lier ensemble, de poursuivre quotidiennement la lutte pour l’occupation. Cela permet aussi aux grévistes de disposer de locaux pour établir des comités spéciaux et tenir des Assemblées générales. La concentration des grévistes dans l’usine donne aussi un point de ralliement qui permet de rallier les éléments les moins conscientisés de la classe ouvrière pour les mettre en luttes. L’occupation permet l’apparition des comités de grèves unitaires, qui réalisent l’union de toute la classe au-delà des syndicats, elle permet aussi de s’affranchir de la direction et de l’aval des bureaucraties. L’occupation pose aussi la nécessité du maintien des occupations. Il faut alors développer des piquets de grève pour s’opposer aux forces de police, aux CRS. La lutte simplement économique du prolétariat se change aussitôt en lutte politique contre l’appareil de coercition spécial qu’est l’État bourgeois. Cela pose aussi la question de l’autodéfense ouvrière, et donc plus généralement de l’armement du prolétariat. Enfin, la grève avec occupation permet la réappropriation des moyens de production, après la grève avec occupation, la prochaine étape est l’expropriation capitaliste et le contrôle ouvrier de la production, autrement dit l’autogestion, le socialisme et la révolution. L’occupation simultanée des usines par les prolétaires et des universités par les étudiants va permettre un rapprochement entre les deux mouvements : une convergence des luttes.

 

Cette convergence des luttes est dialectique elle s’effectue dans les deux sens. Les ouvriers savent où trouver les étudiants (dans les universités occupées) les étudiants savent où trouver les ouvriers (dans les usines occupées). À cela s’ajoute un degré supplémentaire de convergence avec l’occupation des théâtres, dont l’occupation de l’Odéon, à parti du 15 mai, qui se transforme lui aussi en conseil ouvrier et étudiant permanent. Les ouvriers se rendent dans les universités pour participer aux débats, conférences et assemblées. Les ouvriers en grève viennent faire part de leurs expériences aux étudiants, échanger des perspectives avec eux. De leur côté, les étudiants cherchent à nouer des liens avec les ouvriers. Ils organisent des collectes de fonds pour soutenir les ouvriers en grève et essayent d’organiser des manifestations communes à l’entrée des usines. L’appareil de la CGT et du PCF s’oppose alors comme toujours à la jonction entre étudiants et ouvriers, mais bien plus encore il s’inquiète de la « contagion gauchiste » de la jonction entre l’opposition de gauche du PCF et le prolétariat. Lors des manifestations, par exemple le premier mai, le service d’ordre CGT-PCF empêche les éléments d’extrême gauche de se joindre au cortège31, lors des grèves la CGT fait fermer les portails et les grilles des usines pour essayer d’isoler les ouvriers. À chaque fois, le tandem PCF-CGT répendait des mensonges, il accusait les révolutionnaires de vouloir faire tourner les manifestations à l’émeute ou de vouloir casser les machines dans les usines. Or à mesure que des ouvriers rencontraient parmi leurs propres rangs des éléments révolutionnaires issus des groupes d’extrême gauche, à mesure qu’ils manifestaient avec eux et les étudiants, à mesure qu’ils leur ouvraient les portes des usines, les prolétaires se rendaient bien compte qu’on leur cachait la vérité. Il faut aussi comprendre les conceptions de la bureaucratie. En 1968, le PCF est le premier parti ouvrier de France avec des centaines de milliers de membres et des millions de sympathisants32, la CGT de son côté est le premier syndicat de France. Mais tous deux sont dirigés par une bureaucratie contre-révolutionnaire, intégrée au système capitaliste soit en qualité de parlementaire, soit en qualité d’apparatchiks syndicaux et qui vivent des cotisations de ses membres. La bureaucratie repose sur une triple imposture, premièrement l’imposture qui consiste à s’amalgamer au prolétariat alors qu’elle constitue une classe distincte, deuxièmement l’imposture de ses positions révolutionnaires alors qu’elle est réactionnaire et contre-révolutionnaire33, et troisièmement l’imposture qui consiste à présenter l’État ouvrier dégénéré soviétique comme une société sans classe réellement socialiste. Les groupes « gauchistes » remettent en cause ces trois impostures. Le PCF peut donc craindre, avec raison, de voir des scissions majeures au sein de son parti, conduire à la création d’un parti révolutionnaire à sa gauche qui remettrait en cause son monopôle à l’extrême gauche et en tant que parti ouvrier. La CGT de son côté peut craindre une scission syndicale qui remettrait en cause ses tendances au réformisme et à la conciliation des intérêts de classe. Une hémorragie au sein du PCF ou de la CGT serait aussi un coup durable aux finances du parti et de la confédération, et menacerait non seulement les privilèges, mais l’existence même de la bureaucratie. Ajoutons à cela que tout cela risquerait de déclencher une révolution qui balayerait certainement les privilèges de la bureaucratie en plus de risquer de se retourner violemment contre elle. La fin du monopole du PCF à l’extrême gauche remettrait aussi sérieusement en question ses méthodes staliniennes de purges. En effet, tous les militants purgés risqueraient de rejoindre le ou les nouveaux partis révolutionnaires. Pour les députés PCF, il s’agit aussi d’une menace de compétition directe à leur base électorale.

 

Voilà pourquoi la bureaucratie qui est intrinsèquement une force contre-révolutionnaire trouve des raisons supplémentaires de l’être lorsqu’il s’agit de la bureaucratie antidémocratique d’organisations staliniennes. Le mouvement ouvrier s’émancipe donc de la tutelle stalinienne de la CGT et du PCF, la grève se poursuit sans la moindre consigne des deux organisations. Le 15 mai, les chauffeurs de taxi rejoignent la grève. Le 16 mai, l’usine Renault à Boulogne-Billancourt, plus grande usine de France avec des dizaines de milliers d’ouvriers, noyau dur des grèves de 1936, 1947 débraye et rejoint le mouvement de grève générale illimitée. Elle est rejointe par l’usine de Flins, la RATP (les autobus), la SNCF (les cheminots), les transports aériens et les métallurgistes. Le 17 mai, le personnel de l’ORTF se met en grève, une intersyndicale se forme qui dénonce l’ingérence de l’État dans l’information. Le gouvernement aura désormais du mal à communiquer sa propagande. Le 18 mai, le mouvement atteint les 2 millions de grévistes. Le 20 mai, 6 millions de grévistes. Entrent en grève les secteurs chimiques, l’industrie automobile, le textile, l’électricité, le gaz, les raffineries, les éboueurs, les imprimeurs, les grands magasins. Le pays est paralysé, les usines et les bâtiments se couvrent de drapeaux rouges, partout on chante l’internationale, c’est la lutte finale; la révolution est en marche. Le 21 mai, le mouvement atteint son paroxysme, 10 millions de grévistes dans toute la France. Le 21 Cohn-Bendit qui part à l’étranger est interdit de séjour par le pouvoir. Le lendemain, des manifestations sont organisées contre son expulsion au cri de « nous sommes tous des juifs allemands ». Cohn-Bendit reviendra en France clandestinement, discréditant par là le régime gaulliste. Le régime ne tient plus rien, le 19 mai le général revient de son voyage en Roumanie du 14, il déclare : « La réforme oui, la chienlit non », les manifestants répliquent : « la chienlit c’est lui ». Le gouvernement est dans l’impasse (les staliniens aussi), il ne sait plus comment rétablir l’ordre, le pays est paralysé, sa crédibilité détruite. Les manifestations se poursuivent les 22 et 23 mai. Le 24 mai, nouvelles manifestations monstres qui commémorent la Commune de Paris. En après-midi, de Gaulle fait une annonce à la radio34, il propose un référendum sur la participation. Si ce référendum n’était pas gagné il quitterait ses fonctions. La foule de manifestants qui apprend les nouvelles par la radio est en liesse, elle scande « Adieu de Gaulle ». Le 24 au soir le pouvoir vacille, c’est la seconde nuit des barricades. À Bordeaux, Nantes, Toulouse, Lyon et Paris, des émeutes éclatent contre les forces de l’ordre. À Paris, on dépave la chaussée, on renverse les voitures, on abat les arbres. Les CRS chargent à coup de lacrymogènes, les manifestants répliquent à coup de pavés et de cocktails Molotov. Les manifestants se sont aguerri au cours des nombreuses manifestations, et avec eux les services d’ordres organisés des organisations révolutionnaires comme la JCR35. Les manifestants équipés en casques et en barres de fer parviennent donc à mieux contenir les CRS qu’au cours de la première nuit des barricades. À Paris, les manifestants parviennent à incendier l’édifice de la Bourse, symbole du capitalisme. À Lyon, les manifestants détruisent un commissariat de police, lynchant son commissaire. Les CRS ne prennent même plus la peine d’arrêter les gens, se contentant de les assommer. La violence atteint son paroxysme en ce soir du 24 mai. Bilan de la seconde nuit des barricades à Paris, 800 arrestations et 1500 blessés. Les combats de rues sont à l’ordre du jour. Le mouvement revêt un caractère insurrectionnel. La situation est révolutionnaire.

 

Troisième Partie : De Grenelle et Charléty aux Champs Élysées en passant par Baden

La situation est révolutionnaire pour tous (même les gaullistes) sauf pour les staliniens du PCF et de la CGT. Le PCF stalinien pour lequel ni la grève de 6 millions de travailleurs en 1936, ni la grève de 10 millions en 1968, c’est-à-dire la plus grande grève de l’humanité, ne constituent des événements révolutionnaires voit plutôt dans les événements : « un vaste mouvement revendicatif ». Le PCF est stalinien depuis environ 1928, tout comme Staline en 191736 adopta en 1936 des positions contre-révolutionnaires exhortant (comme les socialistes d’ailleurs) le prolétariat à ne pas faire la révolution. La bourgeoisie française et le patronat, de leur côté, cherchaient à se maintenir, et avec eux le capitalisme. Il y eut donc par la suite une collaboration effective entre l’appareil bureaucratique de la CGT et le conseil du patronat pour empêcher la révolution. La CGT étouffa donc le mouvement de grève par un compromis de classe réformiste avec le patronat : les accords de Matignon. En 1968, la CGT et le PCF dans la même impasse, se souvinrent des accords de Matignon. Ils cherchèrent donc à désamorcer la nouvelle crise révolutionnaire par un nouveau compromis réformiste avec le patronat. De son côté, la bourgeoisie et le régime gaulliste, confrontés à la plus grande grève générale de France, cherchent à concéder un maximum de réformes pour casser la mobilisation, obtenir un retour au travail et reprendre ce qu’ils auront concédé à la faveur de la réaction. C’est sur cette base au lendemain de la seconde nuit des barricades du 24 mai que commencent les négociations entre les appareils des quatre grandes centrales syndicales, les représentants du patronat37 et le gouvernement, au ministère du Travail rue de Grenelle. En obtenant un compromis, les bureaucrates des quatre centrales espèrent pouvoir sauver leur honneur en brandissant des gains, afin d’exiger un retour au travail. Les négociations se déroulent nuit et jour entre les 25 et 26 mai, alors qu’en parallèle se maintiennent les manifestations et les occupations. Le 27 mai au matin paraît le résultat des négociations que l’Histoire retiendra sous le nom des Accords de Grenelle. Résultat des négociations : augmentation du SMIG de 35% (ce qui ne concerne que 5% de la population essentiellement non-syndiqué), aucune réduction du temps de travail, augmentation générale des salaires de 7% (avec un taux d’inflation à 5%, autant dire de rien du tout), absolument rien sur les cadences et aucun remboursement des journées de grèves. Ultime affront, les bureaucrates s’étaient servi du vaste mouvement spontané et autonome du prolétariat pour renforcer leurs positions. Ils avaient en effet négocié l’intégration des syndicats aux entreprises, pour pouvoir disposer d’une permanence sur les lieux de travail. C’est à ce prix que les apparatchiks estimaient le retour au travail. À Grenelle ce n’est pas la classe ouvrière que la bourgeoisie a achetée, mais bien la bureaucratie. La comédie de Grenelle face à l’ancêtre de Matignon (qui avait tout de même créé les congés payés) peut-être admirablement résumé par cette phrase de Marx38 : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme une tragédie la seconde fois comme une comédie ». Georges Séguy de la CGT, se rendit fier de lui annoncer les résultats des négociations aux ouvriers de Boulogne-Billancourt. Là-bas, il fut hué par 15 000 ouvriers. À partir de ce moment, la CGT lâcha tout soutien aux grévistes leur conseillant de régler au cas par cas selon ce que chacun voulait.

 

En réaction à cette mascarade et à la trahison historique du PCF et de la CGT, un meeting de 50 000 personnes se tint le 27 mai au stade Charléty. Coorganisé par l’UNEF, le PSU et la CFDT; la masse rassemblée y dénonce le PCF et la CGT. Les événements sont qualifiés de révolutionnaires et les manifestants scandent « le pouvoir aux travailleurs ». On commence à chercher des alternatives au pouvoir gaulliste. À Charléty, Pierre Mendes France, ex-président du conseil et membre du PSU, pressentit pour diriger un gouvernement de transition refuse de prendre la parole39.

 

Le pouvoir semble vacant, il n’y a plus qu’à le saisir. Le 28 mai François Mitterrand propose la constitution du gouvernement démocratique de transition et de gestion. Le 29 mai, Charles de Gaulle fait annuler le conseil des ministres, pendant un jour il disparaît. Prétendant se rendre dans sa ville de Colombey le général se rend en fait à Baden-Baden où sont stationnées les troupes françaises. Prévoyait-il s’enfuir, ou cherchait-il le soutien de l’armée pour intervenir militairement ? Toujours est-il que le général rencontre Massu (dit « le boucher d’Alger ») qui l’assure de son soutien. Néanmoins, le 29 mai de Gaulle a disparu, les accords de Grenelle ont été rejetés en bloc par la base, le pouvoir est vacant et une manifestation de plus de 800 000 personnes défilent aux cris de « gouvernement populaire » à l’appel de la CGT (qui elle réclamait son intégration à un gouvernement bourgeois de transition). L’opportunité, encore une fois est ignorée du PCF et de la CGT. Cela permet à De Gaulle de faire son retour « triomphal », le 30 mai. Nouvelle orientation pour De Gaulle, le projet de référendum du 24 mai est abandonné, remaniement ministériel, de Gaulle dissout aussi l’assemblée (sur sa seule volonté) et convoque des élections. Le jour même un défilé de 200 000 personnes se réunit aux Champs Élysées pour le soutenir. Les réactionnaires de tout acabit, de l’OAS colonialiste à l’Action Française royaliste en passant par les collaborateurs pétainistes de Vichy ; tout ce que la France comporte de groupuscule d’extrême-droite, de nervis fascistes d’Occident au SAC, tous les réactionnaires de la grande et petite bourgeoisie se réunissent ce jour-là pour soutenir de Gaulle. Le retour du général marque un tournant, l’opportunisme de la CGT et du PCF a trop duré. La trahison de la direction du prolétariat et la crise de cette trahison entraine la débâcle progressive du mouvement. Le Capitalisme a été sauvé par le parti Communiste.

 

Épilogue : Les événements de juin 68

Dès l’annonce du général la CGT en profite pour lancer une série d’appels de retour au travail (profitant aussi encore accessoirement de Grenelle). La crise doit se résoudre « démocratiquement » par la voie des élections (un authentique discours révisionniste et réformiste). Le PCF appelle lui aussi au retour au travail, et à faire campagne pour lui. Les positions du PCF ne changent pas sans une nouvelle campagne de purges massives de plusieurs militants révolutionnaires (on compte les exclus par milliers)40. La campagne du PCF est désastreuse, lui qui en 1967 proposait d’exproprier les trusts, le voilà qui fait campagne sur la Loi et l’Ordre, sur sa capacité durant le mouvement à retenir les provocations aventurières et ainsi à se rendre un digne interlocuteur aux yeux du pouvoir gaulliste. Les gaullistes eux font campagne contre le « communisme totalitaire » contre le « péril rouge » et l’anarchie. Le PCF et les gaullistes faisant campagne sur les mêmes thèmes, il n’y a pas de quoi s’étonner à ce que les électeurs aient préféré l’original à la copie. Les « communistes » ont eux-mêmes saboté toutes leurs chances de campagnes, se servant du résultat des élections pour se convaincre encore une fois que 10 millions de grévistes ce n’est pas une situation révolutionnaire. Le travail de sabotage de la CGT permet de réduire considérablement, mais non totalement les effectifs des grévistes, en juin 68 ils sont encore 4 millions. Mais la CGT a non seulement abandonné toutes perspectives révolutionnaires, mais aussi toutes perspectives de grève pour se consacrer uniquement à des perspectives électoralistes. Dès lors que la CGT a réduit les effectifs, les gaullistes et l’appareil spécial de coercition (comme disait Lénine) qu’est l’État, avec ses tribunaux, ses armées de policiers et de CRS peut dégager les usines les plus récalcitrantes et forcer le retour au travail. Les tribunaux font pleuvoir les injonctions de retour au travail et de cessation des occupations. Les CRS occupent une après une les usines se heurtant aux services d’ordre et aux piquets de grève. Le prolétariat oppose encore et toujours son infatigable résistance. Dans les secteurs de l’automobile particulièrement les ouvriers défient les consignes des appareils syndicaux, les injonctions de tribunaux, les offres patronales et les charges de CRS. L’État décide de sévir et de réprimer dans le sang. Le 10 juin, après de violents affrontements survenus le 7 juin, des étudiants organise une marche de solidarité à l’usine Renault de Flins pour confronter les forces e l’ordre aux prises avec les grévistes. Lors de l’affrontement Gilles Tautin, Lycéen perd la vie. Le 11 juin à Sochaux la police tire à balle réelle sur les grévistes. Elle assassine Pierre Beylot ouvrier-serrurier (assassiné par balle de 9mm) et Henri Blanchet. La police fait aussi de nombreux blessés par balle. Après avoir brisé une partie de la mobilisation de Gaulle entreprend de détruire le mouvement. Le 12 juin 1968, de Gaulle fait dissoudre par décret présidentiel (par sa seule volonté) les organisations « gauchistes ». Au total, 11 organisations sont dissoutes dont la JCR, le PCI, Voie Ouvrière (future Lutte Ouvrière), la FER, l’OCI, l’UJC(ml) et le Mouvement-du-22-mars. C’est la répression totale pour les organisations révolutionnaires qui ne périront pas, bien au contraire. Les élections des 23-30 juin sont un raz-de-marée gaulliste qui aurait pu être évité si le PCF avait mené une campagne réellement communiste.

 

L’héritage de Mai 68

L’héritage de mai-juin 1968 est constitué de tout ce que les militants de l’époque ont légué aux militants des époques ultérieures. Et cela, il s’agit de la période post-soixante-huit. Les cinq ans qui suivent mai 1968 jusqu’en 1973, représentent une sorte d’âge d’or du « gauchisme ». Loin d’être vaincues, les organisations dissoutes le 12 juin 1968 vont devenir de véritables partis de masses. La JCR fusionnera avec le PCI dont elle deviendra l’aile jeunesse au sein de la Ligue Communiste (trotskyste-Quatrième Internationale). La Ligue Communiste devient un parti trotskyste de masse avec plus de 8000 militants et autant de sympathisants. Son journal Rouge, tiré à des dizaines de milliers d’exemplaires est bimensuel de 1968 à 1969, hebdomadaire de 1969 à 1975, puis quotidien de 1976 à 1979 (imprimée sur les presses appartenant à la Ligue). Elle gagne de nombreux soutiens dans le mouvement ouvrier (elle forme l’essentiel de l’aile révolutionnaire-autogestionnaire de la CFDT), dans le mouvement étudiant (autour du MAS, le Mouvement d’Action Syndicale) et dans les mouvements de contestation sociale plus largement. La FER change de nom et devient l’Alliance des Jeunes pour le Socialisme (l’AJS), aile jeunesse de l’Organisation Communiste Internationaliste (OCI) aussi trotskyste (lambertiste). L’AJS investira massivement l’UNEF au point de diriger sa principale tendance l’UNEF-SU puis l’UNEF-ID. L’OCI quant à elle deviendra une force majeure au sein de Force Ouvrière et de la Fédération de l’Éducation Nationale (autour du courant de l’École Émancipée). À son apogée, l’OCI atteint plus de 10 000 membres. Lutte Ouvrière (trotskyste) devient aussi un parti de masse avec une forte implantation dans les usines et une presse hebdomadaire tirée à plusieurs milliers d’exemplaires. L’UJC(ml) éclate en plusieurs courants, mais sa principale tendance ; la Gauche Prolétarienne (maoïste spontanéiste), deviendra aussi un parti de masse groupant des milliers de gens. Son journal, La Cause du Peuple, sera tiré jusqu’aux 100 000 exemplaires à son apogée. On voit aussi la naissance de toute une multitude de groupes réellement gauchistes. On peut penser aux situationnistes de l’Internationale Situationniste (IS) influencés par La Société du Spectacle de Guy Debord. Ou encore aux mouvements anarchistes et communistes libertaires, notamment avec l’expansion de l’Organisation Révolutionnaire Anarchiste (ORA) fondée en 196741. Les situationnistes trop élitistes, comme les nouveaux anarchistes trop déstructurés ne parviendront malheureusement pas à devenir des mouvements de masse. Et ce aussi en raison de leur sectarisme, où ils refusent de se joindre au mouvement des masses (par exemple aux syndicats). C’est aussi la naissance de nouveau front de lutte. Mai 68 soulève dans sa postérité la question de la condition féminine ce qui redynamisera le féminisme. Les nombreuses journées de débats-occupations avaient permis d’aborder et d’approfondir la question et de lier ensemble des femmes pour lutter contre leur oppression. De ces débats se formeront de nombreux groupes, qui se retrouveront à être unifié dans le Mouvement de Libération des Femmes (MLF), pour la contraception et l’avortement libre et gratuit. On peut aussi penser à la question de l’homosexualité qui deviendra un nouveau front de lutte avec la création du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire FHAR. Le MLF et le FHAR, ont en commun d’axer leur lutte sur des perspectives d’extrême gauche résolument socialiste et anticapitaliste. La période post-soixante-huit marque une époque où les luttes étaient principalement menées par l’extrême gauche, devenue presque hégémonique (il y a de quoi devenir nostalgique quand on voit aujourd’hui la droite détourner ces combats de l’extrême gauche).

 

L’héritage de mai 68 ce sont ces organisations qui ont été léguées aux militants de l’après 68 (et les gains qu’ils ont réalisés). Or si les leçons d’une révolution sont immortelles, son héritage ne l’est pas. L’héritage de la révolution d’Octobre, par exemple a été liquidé par Staline et la contre-révolution bureaucratique, puis par la chute du mur et la contre-révolution capitaliste. L’héritage de mai 68 a lui aussi été liquidé (à l’exception de Lutte Ouvrière qui vit encore, et du NPA héritier de la LCR), en partie par le régime gaulliste et par les attaques subséquentes de la droite et du néolibéralisme. Mais aussi et beaucoup, par les renégats42, qui on trahit le mouvement qu’ils avaient eux-mêmes contribué à faire naitre et qui dansent aujourd’hui sur le cadavre de mai 68 et de son héritage. 1973 marque un virage dans l’après-soixante-huit; autodissolution des situationnistes, autodissolution de la Gauche Prolétarienne, dissolution de la Ligue Communiste par le pouvoir. Les trahisons et les attaques du pouvoir gaulliste puis néolibéral ont pu détruire l’héritage de mai 68, mais pas ses leçons, il existe toujours des militants fidèles aux idéaux révolutionnaires de mai 68, et le pouvoir n’est pas à l’abri d’un nouveau mai 68.

 

L’héritage de mai 68 est au contraire plutôt optimiste. Il montre que des groupes oppositionnels minoritaires peuvent se changer en organisations de masses à la faveur des événements révolutionnaires (ce que nous avait déjà montré la révolution d’Octobre). Les masses savent reconnaître une position juste, elle est une arme redoutable en situation révolutionnaire, ou pour paraphraser le président Mao (nouvelle idole des « gauchistes ») : « Une minorité révolutionnaire à la ligne juste n’est plus une minorité ». C’est exactement ce qu’on vécut les groupes trotskystes et maoïstes. Ou plutôt les groupes trotskystes (La Ligue Communiste, Lutte Ouvrière et l’OCI) et la Gauche Prolétarienne. Car ces organisations on a juste titre dénoncé l’action contre-révolutionnaire du PCF et de la CGT, ainsi que la trahison de Grenelle. Il y a pourtant une différence majeure entre les maoïstes et les trotskystes. Les maoïstes marxistes-léninistes en général (au PCMLF43 par exemple) étaient staliniens, contrairement à la Gauche Prolétarienne (spontanéiste ou maoïste libertaire) antistalinienne. Elle fut la seule à devenir un parti de masse contrairement aux autres grâce à ses positions antibureaucratiques (notamment anti bureaucratie syndicale). Ce qui distingue néanmoins la GP des trotskystes est que l’analyse des trotskystes préexistait mai 68. La dialectique des trois secteurs de la révolution mondiale (1963), l’analyse et l’expérience de la grève de 1947 et la juste description des grèves de mai-juin 1936 par Trotsky étaient toutes des analyses préalables qui furent confirmées par les faits. Le maoïsme-spontanéisme en revanche était une idéologie forgée de toute pièce. L’UJC(ml), n’a pas été créée volontairement, mais pour réagir face à des expulsions au sein de l’Union des Étudiants Communistes. Ils n’accordaient pas leur pratique sur leur philosophie, mais leur philosophie avec leurs actes (comme dirait Lénine). Leur doctrine devait ultimement se buter à l’écart entre leur théorie et la réalité: Mao n’était pas un libertaire anarchiste44, mais un authentique bureaucrate stalinien. Les positions et les perspectives trotskystes en revanche furent confirmées par les événements, le trotskysme avait un avant 68, il trouvera donc un écho jusqu’à nos jours, dans l’après 68. Les leçons de mai 68 comme celle de la Commune, ou de la révolution d’Octobre, elles sont immortelles. Il s’agit des conclusions que le prolétariat tire de la lutte des classes et de l’expérience révolutionnaire. En 1968, nombre d’entre elles sont trotskystes.

 

Les leçons de mai 1968

  • La première leçon de mai 1968 pour les mouvements étudiants est la solidarité ouvrière. Les mouvements étudiants doivent impérativement soutenir les luttes et les revendications de la classe ouvrière. Il faut aller cogner aux portes des usines, y organiser des marches de solidarité, se rendre sur les piquets de grève, mais aussi inviter les ouvriers dans les universités, leur donner la parole, débattre et échanger avec eux, apprendre de leur expérience; les universités doivent être mises au service de la classe ouvrière. Il faut recueillir des fonds pour soutenir les grévistes. Il faut coordonner ensemble et lier les comités d’actions ouvriers et étudiants. Il faut contribuer à renforcer les piquets de grève, les services d’ordre, et ultimement les milices ouvrières.
  • La seconde leçon pour les mouvements révolutionnaires est l’utilité du travail militant dans les milieux étudiants. Les étudiants qui sont accablés par le double fardeau des devoirs et du travail, joignent la masse des opprimés. Il est donc important d’y développer une conscience révolutionnaire. Les étudiants qui sont groupés ensemble et fortement organisés par le capitalisme offrent de nombreuses possibilités d’actions révolutionnaires comme le montrent les événements.
  • La convergence des luttes. Il est indispensable d’unifier les luttes et des faires converger contre le capitalisme et la bourgeoisie dans un mouvement commun. Mai 68 est le résultat de la convergence entre les luttes étudiantes d’une part et les luttes ouvrières d’autre part. La convergence des deux luttes contre l’État capitaliste et bourgeois a débouché sur une situation révolutionnaire qui aurait pu aboutir à une révolution sérieuse.
  • Mai 68 a aussi confirmé les thèses trotskystes sur la crise de la direction. En mai 68 la base de 10 millions de grévistes s’est spontanément mobilisée contre le capitalisme. Le capitalisme n’a été maintenu que par la trahison de la direction du mouvement ouvrier, c’est-à-dire par la trahison du PCF et de la CGT qui n’ont pas soutenu la grève, ont cherché à briser les occupations en renvoyant les ouvriers, ont lancé de nombreux appels au calme, ont lancé des appels à la reprise du travail, on mené une campagne sur l’ordre, ont joué un rôle de diviseur de l’extrême gauche et qui ont finalement collaborer avec la bourgeoisie pour empêcher la révolution en échange de leurs intégrations aux structures capitalistes de l’entreprise, par les Accords de Grenelle.
  • Mai 68 illustre aussi la trahison des staliniens, qui non contents d’avoir commis des crimes monstrueux, sont aussi de fervents contre-révolutionnaires. La lutte antistalinienne acharnée des trotskystes contre le stalinisme est devenue une évidence pour toute l’extrême gauche en Mai 1968. La lutte contre les partis socialistes et sociaux-démocrates opportunistes prônée par Lénine a aussi trouvée confirmation dans les événements de Mai 1968 avec la trahison du PSU à Charléty et les positions attentistes de la SFIO45 et de la FGDS46.
  • La lutte antibureaucratique est aussi une des tâches fondamentales que mai 68 a soulignée pour tout révolutionnaire. Une analyse marxiste est une analyse de classe. Ce ne sont pas les idéologies abstraites stalinienne ou sociale-démocrate qui ont trahi, mais bien les bureaucraties (dont ces idéologies sont la représentation idéalisée). La lutte contre la bureaucratisation (plus précisément) doit être permanente pour empêcher l’achèvement d’une bureaucratie constituée (en classe autonome). Pour cela, il est impératif de démocratiser les institutions des syndicats et du parti. Il faut expulser les éléments bureaucratiques. Il faut lutter contre les privilèges de ces derniers. Il faut confier les tâches à des militants de la base tirés du rang. Il est impératif en période révolutionnaire d’utiliser le haut niveau de conscience pour créer des organisations de lutte qui permettent au prolétariat de s’émanciper de la tutelle de la bureaucratie.
  • Mai 68 aura aussi montré la nécessité de mener des luttes d’avant-garde. Au moment où les combats atteignaient leur paroxysme où le pays était paralysée par une grève générale insurrectionnelle, où les comités d’actions, les comités d’usines, les piquets de grève se formaient partout, où des manifestations monstres et des émeutes secouaient le pays; la CGT croyait bon de réclamer 7% d’augmentation de salaire au lieu de réclamer l’abolition du salariat, d’appeler au contrôle ouvrier dans les usines, à l’expropriation des capitalistes et a la formation de milices ouvrières et de soviets.
  • Mai 68 a aussi illustré le schéma vers la révolution tel que Trotsky l’expose dans son célèbre programme de transition et dans sa pensée. D’abord le déclenchement d’une grève générale illimitée à caractère social. Cette grève exige ensuite la coordination de l’action ce qui entraîne la création de comités de grèves (qui permettent l’émancipation de la bureaucratie) et la nécessité de l’occupation de l’usine (ou de l’entreprise) comme base de la coordination. Création de comités d’occupation, par nécessité de maintenir les occupations. La nécessité de maintenir les occupations entraîne la formation de piquets de grève qui à mesure du développement de l’explosion sociale se transforme en détachements armés du prolétariat en milice ouvrière. L’échec de mai 68 est de ne pas avoir su constituer un gouvernement politique autonome, l’étape suivante dans le schéma de Trotsky, la formation des soviets, des conseils ouvriers pour renverser et balayer le parlement bourgeois. Mai 68 a néanmoins illustré à merveille les modalités d’une grève (pré) insurrectionnelle et des occupations d’usines.
  • Enfin, mai 68 a illustré la possibilité d’une révolution, même si cette possibilité de révolution a été manquée pour un pays capitaliste moderne et avancé. Les révisionnistes et opportunistes de tout acabit (en particulier ceux du PCF) énonçaient haut et fort avant mai 68 qu’il était impossible de voir surgir des barricades dans un pays capitaliste avancé. Dès lors puisque le prolétariat ne se contenterait que de réformes, il fallait se contenter de réformes. Ce que mai 68 aura accompli de plus fort a sans doute été sa démonstration en acte de la tendance révolutionnaire dans un pays industrialisé. Mai 68 nous aura données pour plus grandes leçons que le prolétariat est foncièrement révolutionnaire et que l’instinct révolutionnaire ne quitte jamais les masses.

 

En conclusion

Nous ne pouvons conclure cet article qu’en invitant les gens à se joindre aux Étudiant.e.s Socialistes, groupe militant étudiant (à la manière de la JCR) qui synthétise l’expérience de mai 68 et qui milite activement pour un nouveau mai 68 cette fois révolutionnaire. Nous conseillons aussi de joindre Alternative Socialiste (section Québécoise du Comité pour une Internationale Ouvrière) qui synthétise à merveille l’expérience du mouvement ouvrier, notamment en mai-juin 1968. Nos petits groupes marxistes révolutionnaires peuvent devenir d’immenses partis de masse sous l’influence d’une crise révolutionnaire, mais elles peuvent aussi grandir par vos adhésions. Ensembles bâtissons un nouveau parti révolutionnaire, une nouvelle direction révolutionnaire des masses. Mai 68 c’est la crise de l’absence d’une direction révolutionnaire, c’est la trahison de la direction historique du prolétariat, du PCF et de la CGT qui ont pactisé avec la bourgeoisie pour sauver le capitalisme. Mai 68 est une révolution manquée au sens où c’est une révolution qui a échoué, c’est une défaite du prolétariat. Mais les défaites du prolétariat ne font que plus aptes à réussir ceux qui entreprennent de les étudier et d’en tirer les leçons. 1848 et la Commune ont été des défaites, mais Marx et Engels en ont tiré d’admirables leçons, 1905 fut aussi un échec, mais Lénine et Trotsky en tirèrent des leçons qui leur permirent de réussir la révolution d’Octobre 1917. Chaque défaite du prolétariat nous rapproche inévitablement de la victoire de la révolution prolétarienne. Tremblez bourgeois, le communisme est de retour ! Terminons sur ces mots de Rosa Luxembourg. :

 

Le double caractère de cette crise, la contradiction entre la manifestation vigoureuse, résolue, offensive des masses berlinoises et l’irrésolution les hésitations les atermoiements de la direction, telles sont les caractéristiques de ce dernier épisode. La direction a été défaillante. Mais on peut et on doit instaurer une direction nouvelle qui émane des masses et que les masses choisissent. Les masses constituent l’élément décisif, le roc sur lequel on bâtira la victoire finale de la révolution. Les masses ont été à la hauteur de la tâche. Elles ont fait de cette « défaite » un maillon de la série de défaites historiques, qui constituent la fierté et la force du socialisme international. Et voilà pourquoi la victoire fleurira sur le sol de cette défaite.

 

La victoire du prolétariat international fleurira sur le sol de la défaite de mai 68.

 

ASC

Un commentaire sur “Mai 68: La révolution manquée

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    Étudiant·e·s socialistes says:

    1. Lors de la réunification de la Quatrième Internationale en 1963 (suite à la scission de 1952 entre comité international et secrétariat international), fut adoptée la ligne de la dialectique des trois secteurs de la révolution mondiale.
    2. La conférence de la Havane de 1966, plus connue sous le nom de conférence tricontinentale (Amérique du Sud, Afrique, Asie), fut organisée à l’initiative des pays du tiers-monde pour lutter contre l’impérialisme, la mondialisation et le colonialisme. Elle regroupait les leaders des mouvements anti-impérialistes du tiers-monde (Che Guevara, Fidel Castro, Ben Barka, Ho Chi Minh). Elle déboucha sur la création de l’OSPAAAL, organisation internationale ayant pour but de coordonner les luttes anti-impérialistes. Elle aboutit aussi à la parution de la revue Tricontinentale.
    3. La quatrième internationale, en revanche, soutenait la guérilla, bien qu’elle priorisait la tactique de l’insurrection généralisée (de la révolution).
    4. Le 13 mai 1958, un Putsch militaire éclate à Alger qui balaye le gouvernement au profit d’une junte pro-Algérie-Française.
    5. http://esocialistes.org/22-mars-1968-letincelle-de-mai-68/
    6. Le premier mai 1954 avait été interdit sous prétexte de la guerre d’Algérie.
    7. C’est sous cette appellation peu flatteuse (sans lien concret avec ce qu’entendait Lénine) que les brillants « idéologues » du PCF qualifieraient l’opposition révolutionnaire qui commençait à se former à sa gauche.
    8. Cohn-Bendit en tant qu’étudiant étranger y est passible d’expulsion vers l’Allemagne.
    9. C’est sous la main de fer de Peyrefitte que furent contrôlées de 1962 à 1966 la censure et l’information en France sous le monopole des chaînes d’État de l’ORTF. Sorte de Goebbels du régime gaulliste.
    10. Les responsables, les militants d’Occident, allaient se changer en Ordre Nouveau après 68, qui allait donner naissance à l’actuel Front National.
    11. Fondé à la suite de l’occupation de la nuit du 22-mars-1968, le Mouvement-du-22-mars d’inspiration socialo-libertaire (et qui tire son nom du Mouvement-du-26-juillet de Fidel Castro) est à l’origine de l’agitation qui entretient Nanterre depuis mars 1968.
    12. La Jeunesse Communiste Révolutionnaire et la branche jeunesse du Parti Communiste Internationaliste (PCI), section française de la Quatrième Internationale. Fondée en 1966 suite à des purges au sein de l’Union des Étudiants Communistes (UEC), la JCR est active dans les comités de solidarités internationaux comme les CAL (Comités Amérique Latine) ou le CNV (Comité National Vietnam). Elle compte Alain Krivine et Daniel Bensaïd parmi ses rangs. Elle a de puissants liens à l’international notamment avec le SDS allemand (l’union des étudiants socialistes), scission marxiste du SPD qui fut à la tête des troubles étudiants de 1967 qui inspirèrent ceux de 1968.
    13.L’Union Nationale des Étudiants Français (UNEF), à l’origine un lobby corporatiste d’étudiants français fondé en 1907 se radicalise par la suite, sous le poids de la démocratisation de l’enseignement, pour adopter une structure plus syndicale (notamment avec la charte de Grenoble en 1946). L’UNEF est donc très radicalisé à cette époque. Elle traversera une scission en 1971 avant de se réunifier en 2003. Aujourd’hui l’UNEF est plutôt un satellite du PS-MJS ayant perdu toute radicalité. Voir notre article : http://esocialistes.org/selection-contingence-attrition/
    14. Le Parti Socialiste Unifié (PSU), était un parti à gauche de la SFIO et du futur PS. Il prônait l’autogestion et se développa fortement à la suite des événements de Mai-Juin 68.
    15. La Fédération des Étudiants Révolutionnaires (FER) était la branche étudiante de l’Organisation Communiste Internationaliste (OCI), organisation trotskyste de tendance lambertiste issue de la scission de 1952 de la Quatrième Internationale. Son nom sera changé en AJS (Alliance des Jeunes pour le Socialisme) après sa dissolution.
    16. L’Union des Jeunesses Communistes Marxistes-Léninistes tout était une scission dite prochinoise (maoïste) de l’UEC (tout comme la JCR était une scission trotskyste) suite à des purges au PCF. L’UJC(ml) était centré autour de l’École Normale Supérieure (ENS), dont ils constituaient la section de l’UEC. Proches de la philosophie Althussérienne, des amitiés franco-chinoises et des Comités Vietnam Base (CVB), ils constituent une tendance spontanéiste au sein du mouvement maoïste (on les surnomme maos-spontex). C’est à dire antistalinienne et antiautoritaire.
    17. La grève avec occupation marque un pas dans le développement de la lutte des classes et de la conscience du prolétariat. Auparavant, les entreprises n’étaient pas occupées, les travailleurs restaient chez eux. Ce mode de grève fit son apparition en 1919-1920 durant les troubles en Italie et en 1936 lors du Front Populaire en France. Le fait de voir réapparaître les occupations était un rappel pour la classe ouvrière des événements de mai-juin 1936. Trotsky analysa d’ailleurs avec beaucoup de pertinence ces signes avant-coureurs d’une situation révolutionnaires dans son article La révolution française a commencé, recueilli dans une brochure Où va la France ? Les événements de 1968 suivirent semblablement la tendance des événements de 1936, tels que décrits par Trotsky. https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ouvalafrance/ovlf7.htm
    18. Les lycéens (équivalent de secondaire 4 à 5 et du cégep) militent à travers les CAL, Comités d’Actions Lycéens. Les CAL regroupent les lycéens mobilisés et coordonnent les occupations des lycées. Souvent animé par des militants de la JCR on retrouve des militants trotskystes comme Michel Recanati (futur responsable du service d’ordre de la ligue communiste).
    19. L’UJC(ml) quittera par la suite la coordination jugeant le mouvement petit-bourgeois. Opinion qui n’était pas partagée par l’ensemble des membres.
    20. Les principales villes étudiantes Lyon, Bordeaux, Tours, Nantes, Strasbourg, Grenoble, Toulouse, Lille etc. joignent le mouvement.
    21. Qui augmente mécaniquement puisque la quote-part de prélèvement des bureaucrates sur les salaires des prolétaires est calculée en pourcentage du salaire.
    22. Alors que dans les faits l’ouvrier gagnant toujours la valeur de sa force de travail, le salaire (qui équivaut au prix de la force de travail) étant réparti sur un plus petit nombre d’heures ou sur un plus petit nombre de marchandises (dans le cas des cadences).
    23. C’est pourquoi les ouvriers de Sud-Aviation seront les premiers à se mettre en grève générale au mépris des consignes syndicales avec les ouvriers de Renault Cléon qui eux demande une réduction des cadences.
    24. Au sortir de la résistance et de la guerre, le PCF au lieu de faire la révolution et de balayer la bourgeoisie en s’appuyant sur ses millions de sympathisants et sur ses cellules armées de résistant entame une politique de collaboration de classe avec les gaullistes. Les consignes de Staline sont claires, la France est une zone d’influence capitaliste et doit le rester. Staline qui cherche à maintenir le pouvoir de la bureaucratie dans la seule URSS et à réaliser le socialisme dans un seul pays (au mépris de la révolution mondiale que réclamaient Marx, Engels, Lénine et Trotsky) entame une politique de partage du monde avec les puissances impérialistes. Pour ne pas risquer que ces puissances entrent en guerre avec l’URSS et ses satellites, c’est à dire pour que les zones d’influences soviétiques ne soient jamais menacées de capitalismes, Staline doit faire en sorte que les zones d’influences de l’impérialisme ne soient jamais menacées de socialisme. C’est la doctrine de la coexistence pacifique, le prolongement dialectique du socialisme dans un seul pays. Une invention purement Stalinienne (contrairement à ce que veulent nous faire avaler les soi-disant ‘’marxistes-léninistes’’). C’est dire si le PCF est déjà réactionnaire.
    25. En 1947 éclate une série de grèves massives qui culmineront avec 3 millions de grévistes. La grève éclate à l’origine en Avril 1947 à l’Usine Renault de Boulogne-Billancourt, véritable bastion du prolétariat comptant plus de 30 000 employés (il était au centre de mai-juin 36, et sera au cœur de mai-juin 68). La grève est alors initiée par des militants trotskystes du Parti Communiste Internationaliste (Quatrième Internationale) et de la future Lutte Ouvrière. Les staliniens du PCF (encore au pouvoir) sont campés sur leur position antigrève. Ils décrient le complot des provocateurs « hitléro-anarcho-trotskystes ». Le mot d’ordre des staliniens est le suivant : « La grève l’arme des trusts ». Le ton change après le 5 mai 1947, date à laquelle les communistes sont expulsés du gouvernement (par les socialistes et non par les gaullistes !). Le tandem PCF-CGT se remet alors à la grève.
    26. La Confédération Générale des Travailleurs fondée en 1895 est en 1968 le principal syndicat français avec 2,5 millions d’adhérents. Il adopta en 1908 la Charte d’Amiens qui établit la suppression du patronat et du salariat comme son principal objectif. Après une scission en 1921 (la CGT-Unitaire), puis une réunification en 1936, la CGT est dissoute sous Vichy puis recrée à la libération. Organiquement liée au PCF, via ses cellules dans les entreprises, la CGT est le syndicat des staliniens. Son secrétaire général Georges Séguy (membre du PCF) adoptera une position hostile à la grève et cherchera par tous les moyens à y mettre un terme.
    27. La Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT) fondée en 1964 est une scission laïque de la CFTC, Centrale Française des Travailleurs Catholiques. Très radicale à son origine elle prône la révolution et l’autogestion. Proche du PSU, elle attirera dans l’après 1968 toutes les tendances « gauchistes » jusqu’à son recentrage en 1978. Depuis 1978 elle est passée fortement à droite de la CGT, elle a notamment signé la loi Travail en 2016. C’est aujourd’hui une des centrales les plus réactionnaires, même si elle était déjà bureaucratisée à l’époque. C’est aujourd’hui un syndicat corporatiste et réformiste de collaboration de classe.
    28. Force Ouvrière est une scission bureaucratique, réformiste et concertationiste de la CGT survenue à la suite des grèves de 1947. La scission est à l’époque menée par Léon Jouhaux, bureaucrate parmi les bureaucrates, ex-secrétaire général de la CGT de 1909 à 1940 (plus de 31 ans de règne !), il est celui qui appuya les crédits de guerre et l’union sacrée en 1914 précipitant la faillite de la IIe internationale. En 1968, la centrale toujours aussi bureaucratique est essentiellement concentrée dans la fonction publique. Elle eut en 1968 une attitude conciliatrice avec le pouvoir et réactionnaire.
    27. La Fédération de l’Enseignement National, est un syndicat de professeur (semblable à l’ex-CEQ actuelle CSQ) fondée en 1948 et qui garantit l’autonomie des syndicats de professeur entre la CGT et FO. Le syndicat a pour principal pilier le SNES (Syndicat National de l’Enseignement Secondaire) et le SNESup (Syndicat National de l’Enseignement Supérieur) très actifs en 1968.
    30. Il est intéressant de noter que Georges Marchais, futur secrétaire général du PCF, s’opposait à l’époque à une grève générale ne-serait-ce que de 24h.
    31. De semblables événements s’étaient déjà produits le 7 octobre 1967 ou le service d’ordre de la CGT avait cherché à empêcher de manifester des éléments trotskystes et prochinois à une manifestation « pour la paix au Vietnam », là où les « gauchistes » militaient pour la victoire du peuple vietnamien (le fameux « FNL Vaincra ! »).
    32. Le PCF compte 400 000 membres et 5 millions d’électeurs.
    33. La bureaucratie dont les privilèges ne peuvent être maintenus que sous le capitalisme tient donc mordicus à conserver le capitalisme pour conserver ses privilèges.
    34. Son discours originalement devant les caméras ne pourra pas être transmis à la télévision faute des grèves de l’ORTF.
    35. La JCR allait devenir la future Ligue Communiste dont le service d’ordre fortement équipé et militarisé allait organiser les imposants affrontements antifascistes du 9 mars 1971 (Palais des Sports) et du 21 juin 1973 (Mutualité) qui allait entraîner sa dissolution puis sa refonte en Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR). À ce sujet voire la brochure de la Ligue Communiste sur l’autodéfense ouvrière.
    36. Après la Révolution de Février 1917 en Russie, Prélude à la Révolution d’Octobre, Staline alors rédacteur de la Pravda rédigea toute une série d’articles (sans compter les autres qu’il fit paraître) de février à avril soutenant le gouvernement provisoire. Il fallut attendre l’arrivée de Lénine en avril pour remettre les pendules à l’heure et déclarer que le parti bolchevik était hostile au gouvernement provisoire (voire les fameuses Thèses d’Avril). Staline adopta par la suite des positions contre-révolutionnaires dans toutes les insurrections internationales.
    37. Représenté à la table par le CNPF, le Conseil National du Patronat Français, l’ancêtre du MEDEF.
    38. Première phrase du 18 Brumaire de Louis Napoléon-Bonaparte.
    39. Action, sortira avec en couverture Pierre Mendès France et cette citation tirée de l’Internationale : Il n’est point de Sauveur Suprême, Ni Dieu ni César ni Tribun. Producteur sauvons nous nous-mêmes, décrétons le salut commun.
    40. Il convient ici d’ouvrir une parenthèse pour parler de l’appareil de parti répressif du PCF construit par la bureaucratie. Le PCF, afin d’être contrôlé par la bureaucratie de Moscou, est construit intégralement sur un modèle de haut en bas. Au sommet du parti règne le comité central qui prend les résolutions pour tout le parti. Le comité central n’est pas élu, ses membres sont cooptés, c’est-à-dire sélectionnés par le comité central lui-même. Au sommet du comité central règne le bureau politique, formée d’un petit comité de bureaucrates totalement extraient du salariat, et soumis aux mêmes règles de cooptations. Les chefs de sections ou de cellules ne sont pas non plus élus, ils sont nommés par la direction selon un système de promotion qui récompense la servilité. Le droit de tendance est interdit. Toute opinion dissidente (incluant une opinion révolutionnaire) est susceptible d’expulsion. Le parti dispose aussi d’un vaste réseau de cadres, fortement disciplinés et largement endoctrinés par le vaste réseau d’école de formation de cadres. Les cadres nommés sont chargés de faire respecter une discipline de fer dans le parti. Cet appareil de répression purement stalinien est l’instrument de la bureaucratie du comité central et du bureau politique pour asseoir son implacable domination réactionnaire sur le parti de masse de la classe ouvrière et supprimer toutes velléités révolutionnaires.
    41. L’ORA crée en 1967 comme tendance de la Fédération Anarchiste (FA), elle rompt avec la Fédération dans l’après 1968. L’ORA veut participer activement aux luttes et ne se satisfait plus du seul travail théorique de la Fédération. C’est aussi la rupture avec la synthèse informe et protéiforme que tente de réaliser la Fédération entre tous les courants anarchistes, dont certains en contradiction totale les uns avec les autres.
    42. Daniel Cohn-Bendit ex-22-mars, aujourd’hui soutient du président Macron. Alain Geismar ex-SNESup et ex-Gauche-Prolétarienne, aujourd’hui apparatchik du PS et membre de tous les cabinets. Citons aussi Serge July, André Glucksman, Romain Goupil, Michel Field, Roland Castro, Régis Debray et bien d’autres encore pour ne citer que les plus connus. Pour autant l’espoir n’est pas perdu et beaucoup restent fidèles à l’idéal de mai 68. Des trotskystes comme Lutte Ouvrière ou le NPA restent intacts, Alain Krivine est toujours un militant révolutionnaire.
    43. Le Parti Communiste Marxiste-Léniniste Français, qui publiait l’Humanité Nouvelle puis l’Humanité Rouge, était un parti maoïste français, mais contrairement à la Gauche Prolétarienne (spontanéiste), le PCMLF était stalinien et notamment pro-albanais. La structure bureaucratique et l’appareil répressif du PCF étaient mille fois plus fort au PCMLF qui ne fit que s’étioler à force de purges intestines.
    44. En 1968 la Chine maoïste était un pays mystérieux coupé du reste du monde, où les Occidentaux ne se rendaient que très peu (sinon quelques fervents « marxistes-léninistes » déjà convaincus, lors de visites strictement organisées), ce qui était très propice aux fantasmes en tout genre sur le Paradis Rouge. Néanmoins la dissolution des gardes rouges en 1968, les purges de 1971, les révélations spécialistes (notamment la parution des Habits neufs du président Mao en 1971) qui levaient le voile sur la Chine maoïste et la trahison de Mao qui serra la main de Nixon en 1972 achevèrent les illusions de la Gauche Prolétarienne qui s’autodissout en 1973.
    45. La Section Française de l’Internationale Ouvrière, comme son nom l’indique était la section française de la vieille Internationale Ouvrière (la IIe Internationale). En 1968 elle était dirigée par Guy Mollet qui avait longtemps collaboré avec le pouvoir gaulliste. En 1968 elle eut une attitude tout aussi réactionnaire que le PCF.
    46. La Fédération des Gauches Démocratiques et Socialistes, était dirigée en 1968 par François Mitterand (dont la trahison de 1981 est bien connue). En 1969 elle allait fusionner avec la SFIO pour donner l’actuel Pari Socialiste.

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